Sources - 1210, le siège du château de Termes : version web.

1210, le siège de Termes
Aller au contenu
Le siège du castrum de Termes selon « La Canso »
(Traduction de Claude MARTY)

Jamais plus fort château ne s'est vu dans le monde.
Il fallut l'assiéger de Pâques à l'Ascension*
Et moitié de l'hiver, comme dit la chanson.
Aucun homme n'a vu si forte garnison
Que celle du château : soldats de l'Aragon,
Soldats de Catalogne et puis de Roussillon.
On s'y battit de près et rompit maint arçon,
Maint chevalier y est mort et maint fort Brabançon,
Mainte enseigne perdue, maint riche gonfalon
Que les assiégés prirent là-haut en leur donjon
Malgré tous les croisés, qu'ils le voulussent ou non.
Mangonneaux ou pierriers aucun mal ne leur font,
Ils ont de quoi survivre : viande fraîche, bacon,
Du vin, de l'eau à boire et du pain à foison!

Le siège était donc mis depuis bientôt neuf mois*
Que l'eau vient à manquer, la sécheresse est là.
Certes il y avait du vin, pour peut-être trois mois,
Mais sans eau qui peut vivre ? Aucun homme, je crois.
Puis un orage vint (que Dieu m'aide, et la foi),
Qui tourna au déluge, et leur fin vint de là :
Car en vases et tonneaux chacun en prit pour soi,
On en pétrit le pain et on s'alimenta :
La maladie les prend, aucun ne sait où il va…
Ils décident alors de fuir, chacun pour soi
Plutôt que de mourir…
Lorsque l'on sut  partout que Termes était tombé,
Les châteaux les plus forts furent abandonnés
Tout l'albigeois tomba, sans un seul coup donné !

Guilhem de Tudèle, en 1212-1213, dans "la Canso"
Une des principales sources pour la connaissance du siège.
* Le siège a duré presque 4 mois en réalité...
LE RECIT DU SIEGE DE TERMES
(début août-23 Novembre 1210)

par Pierre des Vaux de Cernay, dans l’ «Historia Albigensis» (extrait).

L’approche  d’une grande troupe de Bretons fut annoncée au comte, Simon de  Montfort. Celui-ci tint conseil et confiant dans l’appui de Dieu, marcha  vers le château de Termes. Pendant que le comte était en route, des  chevaliers qui se trouvaient à Carcassonne tirèrent les machines de  guerre qui étaient dans la ville et les firent placer hors des remparts  afin d’être amenées au comte qui se hâtait d’assiéger Termes. Quand nos  ennemis postés à Cabaret apprirent que nos machines étaient placées hors  des murs de Carcassonne, ils vinrent au milieu de la nuit en troupe  nombreuse et bien armée pour essayer de les détériorer à coup de hache. A  leur approche, les nôtres sortirent de la ville et, quoique très peu  nombreux, attaquèrent les ennemis, les mirent vigoureusement en fuite et  poursuivirent les fuyards de tous côtés à une grande distance. La rage  de nos adversaires n’en fut pas calmée, car ils revinrent cette même  nuit, un peu avant le point du jour pour essayer d’abîmer les machines.  Quand les nôtres s’en aperçurent, ils firent une sortie et les mirent en  fuite encore plus loin et plus vigoureusement que la première fois : à  deux ou trois reprises, ils faillirent s’emparer du seigneur de Cabaret,  Pierre Roger, mais celui-ci pris de peur se mit à crier « Montfort,  Montfort » avec les nôtres, comme s’il était l’un d’entre eux. Il  échappa ainsi, se réfugia dans les montagnes et ne regagna Cabaret que  deux jours après.  

Description de Termes :  Termes, situé en territoire Narbonnais, à cinq lieues de Carcassonne,  était d'une force étonnante et incroyable. Il semblait humainement tout à  fait imprenable : il était bâti au sommet d’une haute montagne sur un  grand rocher naturel, entouré de ravins profonds et inaccessibles où  couraient des torrents qui entouraient le château : ces ravins étaient  bordés de rochers si hauts et si réfractaires pour ainsi dire à la  descente que celui qui voulait atteindre le château devait d’abord se  laisser glisser dans le ravin et ensuite ramper pour ainsi dire vers le  ciel. De plus, à un jet de pierre du château un piton isolé portait un  fortin de petite dimension, mais d’une grande solidité nommé Termenet.  Ainsi disposé, le château n’était abordable que d’un seul côté où les  rochers étaient moins hauts et plus accessibles. Le seigneur de Termes  était un chevalier nommé Raymond, vieillard livré à un sens réprouvé et  hérétique avéré. En un mot, il ne craignait ni Dieu ni les hommes. Il  avait une telle confiance dans sa forteresse qu’il combattait tantôt le  comte de Toulouse, tantôt son propre suzerain, le vicomte de Béziers.  Quand ce tyran apprit que notre comte se proposait d’assiéger Termes, il  recruta le plus grand nombre de chevaliers possibles, approvisionna le  château d’une grande quantité de vivres et autres choses nécessaires à  la défense et se prépara à la résistance.

Début du siège : Arrivé  devant Termes, notre comte commença le siège avec peu de troupes et  s’installa dans une partie des constructions. Les défenseurs, nombreux  et bien armés, nullement intimidés par notre petit camp, sortaient et  rentraient librement pour chercher de l’eau et tout ce qu’il leur  fallait sous les yeux des nôtres qui étaient incapables de les en  empêcher. Pendant ces allées et venues, des croisés du nord arrivaient  au camp de jour en jour, peu nombreux et goutte à goutte. Dès que nos  ennemis voyaient approcher ces croisés, ils montaient sur les remparts  et s’écriaient ironiquement pour se moquer des nôtres, comme les  nouveaux venus étaient en petit nombre et sans armes : « Fuyez de la  face du camp, fuyez de la face du camp ». Peu après, des croisés de la  France du nord et des pays germaniques commençaient à arriver par  troupes nombreuses. A cette vue, nos ennemis prirent peur, cessèrent  leurs moqueries et devinrent moins présomptueux et moins hardis.  

Notre  comte faisait dresser des pierrières qui bombardèrent le premier  rempart du château : les nôtres s’occupaient tous les jours aux travaux  du siège. Les machines mises en batterie près du château bombardaient  tous les jours les murailles. Dès que les nôtres s’aperçurent que le  premier rempart était affaibli par le jet continuel des pierres, ils  s’armèrent pour prendre d’assaut le premier faubourg : quand les ennemis  les virent s’approcher des remparts, ils incendièrent ce faubourg et  battirent en retraite vers le faubourg supérieur : les nôtres  pénétrèrent dans le premier faubourg mais ils en furent promptement  chassés par une sortie de l’ennemi.  

Les  choses en étaient là, quand les nôtres remarquèrent que la tour de  Termenet, déjà nommée, garnie de chevaliers, entravait la prise du  château dont elle était voisine : ils cherchèrent le moyen de s’en  emparer. Au pied de la tour, bâtie, comme nous l’avons dit, au sommet  d’un piton rocheux, ils mirent des sentinelles pour empêcher les  défenseurs d’aller au château et la garnison du château de porter  secours en cas de besoin à ceux de la tour. De plus, quelques heures  plus tard, les nôtres installèrent un mangonneau, non sans extrême  difficulté ni périls dans un endroit (presque) inaccessible entre la  tour et le château. A son tour, la garnison du château dressa un  mangonneau qui lançait de gros projectiles sur le nôtre sans toutefois  pouvoir l’endommager. Notre mangonneau bombardait la tour sans  discontinuer : les défenseurs se rendaient compte qu’ils étaient bloqués  et que ceux du château ne pouvaient leur porter aucun secours. Une  nuit, saisis de peur, ils cherchèrent leur salut dans la fuite et  évacuèrent les lieux. Aussitôt que les sergents de l’évêque de Chartres,  qui faisaient le guet à la base, s’en aperçurent, ils entrèrent dans la  tour et arborèrent au faite la bannière de leur évêque. Pendant ce  temps, d’un autre côté, nos pierrières bombardaient sans cesse les  murailles du château. Toutefois, aussitôt que nos ennemis, en homme  pleins de courage et d’ingéniosité, s’apercevaient que nos machines  avaient endommagé une de leurs murailles, ils élevaient tout près et à  l’intérieur une barricade de pierres et de bois : aussi, chaque fois que  les nôtres ouvraient une brèche, ils ne pouvaient avancer à cause de la  barricade que l’ennemi avait élevée. Comme il nous est impossible de  redire toutes les péripéties de ce siège, nous dirons en un mot que les  assiégés n’abandonnèrent jamais une de leurs murailles sans en  construire une autre à l’intérieur comme je l’ai dit plus haut.  

Sur  ces entrefaites, les nôtres installèrent un mangonneau près des  remparts à l’abri d’un rocher dans un endroit presque inaccessible.  Lorsqu’il fonctionnait, il causait beaucoup de dégâts chez l’ennemi.  Notre comte préposa trois cents sergents et cinq chevaliers à la garde  de ce mangonneau dont la sécurité inspirait beaucoup de craintes : les  nôtres en effet, n’ignoraient pas que leurs adversaires mettraient tout  en œuvre pour détruire un engin si nuisible pour eux : et puis, les  croisés du camp n’auraient pu en cas de besoin secourir les gardiens du  mangonneau à cause de sa position dans un lieu d’un accès si difficile.  Un jour, les assiégés, au nombre de quatre vingts, sortirent du château :  armées de boucliers, ils accouraient pour détruire la machine :  derrière eux une infinité d’ennemis apportaient du bois, du feu et  toutes sortes de combustibles. Pris de panique, les trois cents sergents  de garde près de la machine se sauvèrent tous ; bientôt, il ne resta  que les cinq chevaliers. A l’approche des adversaires, tous nos  chevaliers prirent la fuite, à l’exception d’un seul, Guillaume de  l’Ecureuil. Celui-ci, voyant les ennemis se mit avec la plus grande  difficulté à grimper sur la roche face à eux : mais ils se précipitèrent  sur lui tous à la fois. Lui se défendait avec une bravoure remarquable.  Les ennemis, comprenant alors qu’ils n’arriveraient pas à le faire  prisonnier, le renversèrent avec leurs lances sur le mangonneau et  jetèrent sur lui du bois sec et du feu, mais notre vaillant chevalier se  relève aussitôt et disperse le feu : l’engin demeure intact. Quand les  nôtres jugèrent que notre chevalier ne pourrait échapper, puisque  personne ne pouvait le secourir, ils créèrent une diversion et se  dirigèrent vers la partie opposée des remparts comme pour donner  l’assaut. Alors, les ennemis desserrèrent leur étreinte autour de  Guillaume de l’Ecureuil et se replièrent dans le château.  
Entre  temps, le noble comte de Montfort souffrait d’une détresse si grande et  si pressante que très souvent il n’avait rien à manger : le pain même  faisait défaut à plusieurs reprises : nous le savons de sources sûre :  il lui arriva de s’absenter volontairement quand approchait le moment  des repas et, de honte, il n’osait rentrer sous sa tente parce qu’il  était l’heure de manger et qu’il n’avait pas seulement de pain.  

Projet de capitulation : A  ce moment, nos ennemis manquèrent d’eau. Leurs voies d’accès étant  bloquées depuis longtemps par les nôtres, ils ne pouvaient plus sortir  pour puiser de l’eau, et quand l’eau manqua, le courage et l’envie de  résister leur manquèrent également. Ils parlementent avec les nôtres ils  négocient la capitulation sur les bases suivantes : Raymond, seigneur  de Termes promettait de livrer son château au comte pourvu que celui-ci  lui laissât le reste de sa terre et lui rendit le château aussitôt après  pâques. Pendant qu’on discutait les clauses de cette capitulation, les  évêques de Chartres et de Beauvais, le comte Robert et le comte de  Ponthieu s’apprêtèrent à quitter le camp. Notre comte voyant que le  départ des susdits croisés allait le laisser presque seul, réduit à une  telle extrémité, accepta, quoique à regret, la proposition de l’ennemi.  Les nôtres parlementent de nouveau avec les assiégés : la capitulation  est ratifiée et notre comte fit dire à Raymond, seigneur de Termes, de  sortir du château et de lui livrer. Celui-ci refusa de sortir ce jour-là  et s’engagea formellement à rendre son château le lendemain au début de  la matinée.  

Un miracle ?  La nuit suivante comme si le ciel était rompu et toutes ses cataractes  ouvertes, il s’en échappa soudain une pluie si abondant que les  assiégés, après avoir souffert du manque d’eau et offert de capituler  pour ce motif, en furent saturés. Dès le commencement du jour, notre  comte envoya un message à Raymond, seigneur de Termes, et lui ordonna de  livrer son château conformément à la promesse de la veille. Mais  celui-ci approvisionné abondamment de cette eau, dont la privation  l’avait poussé à se rendre et voyant en outre les gens de l’armée se  retirer, rompit en homme pétri d’inconséquence et de duplicité qu’il  était, l’engagement qu’il avait pris. Toutefois, deux chevaliers  sortirent du château et vinrent se rendre au comte parce que la veille  ils avaient promis formellement à son maréchal de se constituer  prisonniers. Quand le maréchal fut revenu auprès du comte et qu’il eut  rapporté la réponse du seigneur de Termes, l’évêque de Chartres qui  tenait à partir le lendemain conseilla de renvoyer encore le maréchal  auprès de Raymond et de lui offrir la capitulation à n’importe quelles  conditions pourvu qu’il livrât son château. pour convaincre plus  facilement ledit Raymond, l’évêque de Chartres conseilla au maréchal  d’emmener avec lui l’évêque de Carcassonne, qui était dans le camp pour  ce motif qu’il était originaire du pays et qu’il était bien connu du  tyran : de plus, parmi les assiégés se trouvait la mère de l’évêque  (fameuse hérétique) et le frère de l’évêque, savoir Guillaume de  Roquefort. Ce Guillaume était très cruel et autant qu’il était en lui un  des pires ennemis de l’Eglise. Ainsi donc l’évêque de Carcassonne et le  maréchal du comte se rendirent auprès de Raymond : aux paroles ils  ajoutèrent les prières et aux prières les menaces : ils s’efforcent avec  persistance d’amener ce tyran à écouter leurs conseils et à se  soumettre de la manière dont on l’a dit plus haut à notre comte ou  plutôt à Dieu même, mais celui dont le maréchal avait déjà éprouvé  l’entêtement et l’obstination témoigna envers l’évêque de Carcassonne et  le maréchal d’un entêtement plus obstiné encore. Ledit Raymond ne  voulut même pas tolérer que l’évêque eût un entretien secret avec son  frère Guillaume. L’évêque et le maréchal, ayant échoué dans leur  mission, revinrent auprès du comte.  

Reprise des combats et chute de Termes :  Après le départ des susdits nobles et évêques, notre comte se voyant  presque seul et à peu près abandonné, inquiet et troublé ne savait que  faire. Lever le siège ? Il ne le voulait à aucun prix. Prolonger son  séjour ? Cela lui était impossible, vu le grand nombre et l’armement de  ses ennemis, l’insuffisance de ses propres troupes, en majorité non  équipées. Comme nous l’avons dit plus haut, le gros de l’armée était  parti avec les évêques et les comtes : le château était encore très fort  : on estimait que seule une très puissante armée d’assiégeants était  capable de s’en emparer : enfin l’hiver approchait, très rude  d’ordinaire en ces régions : Termes était situé dans les montagnes, nous  l’avons déjà dit : les pluies torrentielles, le vent qui  tourbillonnait, la neige qui tombait en abondance rendirent cet endroit  glacial et presque inaccessible. Un beau jour des croisés à pied  survinrent de Lorraine. Le comte enchanté de leur arrivée, resserre le  siège autour de Termes et sous l’impulsion du vénérable archidiacre  Guillaume, les nôtres reprirent leur courage et leur activité. Ils  traînèrent plus près des remparts les machines dont le rendement  jusqu’ici avait été faible : ils les manœuvrèrent sans discontinuer et  affaiblirent sensiblement les remparts. Après un bombardement prolongé  qui affaiblit en grande partie les remparts et le donjon, le jour de la  Sainte Cécile, le comte ordonna de creuser une tranchée et de la couvrir  de claies, afin que les mineurs puissent atteindre le rempart et en  saper la base. Il travailla toute la journée à prendre ses dispositions,  il jeûna aussi, et, à la nuit tombante, veille de la Saint Clément, il  rentra sous la tente. Par une disposition de la clémence divine et le  secours du bienheureux Clément, les assiégés, saisis de crainte et  complètement désespérés, sortirent tout à coup du château et essayèrent  de fuir. Quand les nôtres au camp s’en aperçurent, ils donnèrent  l’alarme et commencèrent à courir çà et là pour encercler les fuyards.  Pourquoi tarder davantage ? Beaucoup réussirent à s’échapper,  quelques-uns furent faits prisonniers, plusieurs furent mis à mort. Un  croisé chartrain, pauvre et non noble qui courait avec les nôtres en  poursuivant les fuyards, fit prisonnier, par une disposition de la  justice divine Raymond, seigneur du château, qui s’était caché en  quelque retraite, et il le conduisit au comte qui le reçut comme un don  précieux et au lieu de le faire mourir le fit enfermer au fond d’une  tour de Carcassonne où pendant plusieurs années il subit le châtiment et  connut des misères qu’il avait bien méritées.

                     
Miracles :   Au sujet de Termes, il arriva un événement que nous ne devons pas  passer sous silence. Notre comte faisait un jour conduire un petite  engin appelé chat en langue vulgaire, destiné à saper les remparts.  Comme le comte se tenait près de l’engin et qu’il causait avec un  chevalier, le bras passé familièrement au cou de celui-ci, une énorme  pierre lancée par un mangonneau des ennemis arriva de très haut avec une  grande force et frappa à la tête ledit chevalier. Par la merveilleuse  opération divine, le comte qui étreignait le chevalier fut épargné,  tandis que celui-ci, frappé d’un coup mortel expirait. Autre fait digne de mémoire.  Un dimanche, notre comte était dans sa tente et écoutait la messe : un  sergent se tenait derrière lui, presque contre son dos : la clémente  providence de Dieu l’avait ainsi disposé. Tout à coup, une flèche lancée  par une baliste ennemie frappa le sergent et le tua. Personne ne peut  mettre en doute l’intervention divine. Le sergent debout derrière lui  reçut la flèche mais le bon Dieu conserva à la Sainte Eglise son  valeureux champion.  

Une version complète en ligne est à retrouver ici :
Retourner au contenu